clic à suivre Vidéo de la conférence de presse des blessés du 22 février à Nantes.
Les forces de police et le ministère de l'Intérieur ne peuvent plus prétendre une exceptionnalité accidentelle, car se dessine maintenant une série dramatique qui évoque une lourde responsabilité des agents de police et de leur chaîne de commandement à tous les niveaux, ainsi que l'hypothèse d'un caractère systématique des tirs volontaires au visage (rendus techniquement possibles par la visée sophistiquée du Lanceur de balles de défense, arme de guerre).
Le Procureur de la République va devoir prendre ses responsabilités en ouvrant une instruction judiciaire et en sauvegardant en urgence les éléments de preuves pouvant servir à la justice. Rappelons que les violences volontaires avec arme ayant provoqué un infirmité permanente sont des crimes passibles de la Cour d'assises.
Le Procureur devra également étudier la conduite sans précédent de la police, qui durant la manifestation, au lieu de s'assurer des soins apportés aux blessés comme elle y est tenue, même pour des délinquants de droits communs, a pourchassé illégalement les secouristes bénévoles improvisés, ce qui constitue très probablement, au delà de la non-assistance à personnes en danger, un cas exceptionnel dans l'histoire de la police française, documenté par plusieurs témoignages ce 22 février, de « Mise en danger de personnes vulnérables » – « Obstruction avec arme à l'assistance aux personnes » – « Traitement cruel et dégradant, au sens des Conventions internationales de défense des Droits de l'Homme ».
Nous notons également qu'ont été visés par les flash-balls LBD des journalistes et de simples passants, comme s'il fallait empêcher tout témoignage sur cette étrange journée du 22 février 2014.
Par ailleurs, nous invitons de façon pressante les députés et sénateurs, quelque soient leurs positions sur le projet d'aéroport, à demander maintenant une Commission d'enquête parlementaire sur les faits et violences du 22 février à Nantes, qui interrogent sur une possible affaire d'État avec atteinte aux principes démocratiques fondamentaux et manipulation de l'opinion publique.
Après Quentin Torselli et Damien Tessier, mutilés de l'oeil, nous avons donc pu joindre aujourd'hui Emmanuel Derrien, 25 ans, qui a lui aussi été très gravement blessé de l'oeil le 22 février, suite à un tir de projectile de la police. Il a subi une intervention pour exploration de l'oeil et devrait être opéré prochainement de la cataracte. Actuellement, il ne voit plus rien de son œil droit, à part des éblouissements.
Emmanuel, un jeune nantais, cuisinier de profession, a été touché par un tir de la police aux alentours de 17 heures et de 17h30, devant l'entrée de l'Hôtel Dieu, au niveau de la pelouse de la façade sud de l'Ile Feydeau.
Nous donnerons prochainement un entretien plus détaillé d'Emmanuel, comme nous l'avons fait précédemment le 8 mars pour Damien.
Rappel : Une conférence de presse organisée par la victimes de flash-ball à Nantes, et leurs proches, aura lieu mardi 15 avril, à 11 heures, (à Nantes, dans un lieu encore à déterminer).
Luc Douillard, en lien avec l'OBS-LAB (observatoire-laboratoire de la démocratie locale en pays nantais)
Un site réactualisé dédié aux affaires de flash-ball : 27novembre2007.blogspot.fr
Un homme du GIPN derrière le viseur de son LBD40 le 22 février 2014 à Nante
Nantes 22 février 2014: manifestants pacifistes et journalistes blessés
QUENTIN TORSELLI
Retranscription du témoignage de Quentin, gravement blessé le 22 février à Nantes23 février 2014, 15:33
Ca a démarré vraiment quand on s'est retrouvés vers Commerce, au moment où on devait remonter normalement le cours des 50 otages, ce qui était censé être le parcours de la manif. Là, il y avait des cars de CRS et des barrières qui bloquaient tout. Nous quand on est arrivés, direct on s'est fait gazer. Il y a eu tout de suite des gaz lacrymo qui ont été jetés sur les gamins, sur tous les gens qui étaient là.
Là c'était la manifestation paisible, normale ?
C'était la manifestation paisible mais il y avait quand même déjà des gens un peu excités déjà avant, depuis le début de la manif. Donc nous on est restés un petit peu dans la zone, voir un peu ce qui se passait, et puis après, sur les conseils des organisateurs et tout, on a continué à marcher, à aller vers le point de ralliement, l'endroit où c'était fini, pour qu'il y ait un mouvement et que ça s'essoufle un peu.
Après, il y a eu plusieurs salves d'affrontement, des lacrymos qui perpétuellement revenaient, lancés par les flics. Et moi, ce qui m'est arrivé, c'est à la fin, on était vers la place Gloriette, entre Gloriette et l'autre là, là où il y a le café plage, ce rond-point là en fait, près du CHU justement. Et nous on allait pour se replier, on rentrait, les CRS avançaient eux, avec les camions et tout le truc, et moi je reculais avec tout un tas d'autres gens. Je reculais en les regardant pour pas être pris à revers et pouvoir voir les projectiles qui arrivaient. Et là, à un moment, j'ai senti un choc, une grosse explosion et là je me suis retrouvé à terre et, comme ils continuaient à nous gazer, ils continuaient à envoyer des bombes assourdissantes alors que j'étais au sol, des gens ont essayé de me sortir le plus vite possible, de m'emmener plus loin aussi. Et puis après je sais pas trop, on m'a mis dans une... les pompiers m'ont emmené quoi.
Et donc, on dit que tu as reçu une grenade assourdissante qui, au lieu d'être tirée en l'air, a été tirée de façon horizontale, dans ton œil ?
Je l'ai prise directement dans le visage. Elle a explosé dans mon visage. Vu ce que ça a fait... Elle a explosé là et c'est comme ça que moi je l'ai ressenti, quoi. Le choc, ça a été un bruit et une douleur extrêmement vive sur le coup, puis bon moi je me suis écroulé. C'est vrai que c'était assez violent j'ai trouvé. Il y avait, de la part des manifestants, des gens qui voulaient absolument lancer des trucs sur les CRS mais les CRS, eux, gazaient n'importe qui. Et ils visaient, au flash ball, ils étaient cachés, on les voyait viser, suivre des gens qui marchaient ou qui couraient en face pour aller se mettre à l'abri. Ils les visaient, les suivaient et shootaient, quoi. et ils visaient pas les pieds. On a vu la façon dont ils tiraient, c'était très... c'était ciblé.
Et toi tu étais là, en manifestant paisible, tu n'étais pas armé, tu n'avais rien dans les mains ?
J'étais pas armé, j'avais pas de masque à gaz, j'avais pas de lunettes de protection. On était là pour une manifestation familiale, festive, on était là pour faire masse, pour faire du nombre. Et après, c'est vrai que je suis resté même s'il y avait les lacrymos, parce que je trouvais ça injuste et qu'il fallait rester. Y'avait des gens, y'avait des pères de famille, y'avait des anciens, y'avait un petit peu de tout et voilà, moi je voulais rester aussi avec les gens pour montrer qu'on était là
DAMIEN TESSIER
Je m’appelle Damien T. J’ai 29 ans. Je suis maçon-coffreur en intérim, actuellement en recherche d’emploi. J’habite à Rezé dans l’agglomération nantaise.
Quelle blessure t’a provoqué la police durant la manifestation du 22 février ?
Je souffre d’une « contusion sévère du globe oculaire ». C’est ce que disent les médecins. Ils ne savent pas encore ce que ça va devenir. Mais je ne vois plus du tout de mon œil gauche. Le dimanche suivant la manifestation, j’ai été opéré pour une exploration de l’œil. En tout, pour l’instant, j’ai déjà été hospitalisé quatre jours.
Étais-tu manifestant contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?
J’étais manifestant avec mes amis. Je trouve idiot de faire un aéroport là-bas. Mais je ne suis pas un activiste.
Que s’est-il passé exactement ?
C’était vers 17 heures, rue du Guesclin, dans l’Île Feydeau, près du café Le Chat noir. On arrivait avec mes amis depuis le square Daviais où se tenaient des discours et des musiciens. En face, des affrontements chauffaient sérieusement du côté du square Fleuriot et de la station centrale des tramways. Nous nous sommes rapprochés du Chat noir. Brutalement, on s’est retrouvés au milieu des lacrymos et des grenades assourdissantes. Dix minutes avant ma blessure, j’ai vu tomber le manifestant très durement touché au nez par une balle de flash-ball.
La situation a dégénéré. Il y avait des activistes, disons « énervés » et aussi des gens avec des poussettes, des personnes âgées, qui se sont fait gazer.
Brutalement, les CRS nous ont chargés depuis l’intérieur l’Ile Feydeau, en tirant avec tout ce qu’ils avaient sous la main : lacrymos, Flash-Ball, grenades. Il balançaient également sur nous les cailloux qui leurs étaient jetés.
Je me suis retrouvé face à eux. Ils tiraient en l’air, puis à hauteur d’homme. J’ai été touché, soit par une grenade assourdissante, soit par une balle en caoutchouc.
Je suis tombé dans les bras d’un jeune manifestant. Deux personnes m’ont secouru et m’ont emmené en direction du quartier du Bouffay. Mon ami Alex a arrêté un véhicule de pompiers, qui a appelé une ambulance, qu’on a attendue longtemps.
Je souffrais beaucoup et je saignais. Et j’avais un énorme sifflement d’oreille.
Es-tu seul dans ton cas ?
Je peux affirmer que nous sommes au moins trois blessés à l’œil sur cette manifestation, car à l’hôpital, en plus de Quentin que j’ai croisé, j’ai vu un troisième blessé à l’œil pendant le rendez-vous avec l’anesthésiste, un jeune homme d’environ 25 ans dont je ne connais pas le nom.
As-tu prévu de porter plainte ?
Je suis allé déposer une première plainte au commissariat de Rezé. J’ai demandé à porter plainte pour « blessure aggravée avec intention de mutiler ». Mais les policiers n’ont écrit sur le papier que « Blessure aggravée avec ITT [Interruption Temporaire de Travail] de plus de huit jours ». Il faudra sans doute que je dépose une plainte plus argumentée auprès du Procureur de la République.
Quelle est ta situation maintenant, deux semaines après ?
Quand c’est arrivé, j’étais dans une période sans mission d’intérim et en fin de droits de chômage. Je ne sais comment je vais payer mon loyer. Car maintenant je ne peux plus travailler en maçonnerie. Je ne peux plus faire aucun effort car ça ferait monter la pression dans mon œil.
Et je ne peux plus conduire. J’espère d’ici six mois retrouver au moins un dixième de vue de mon œil gauche, pour être autorisé à reconduire un véhicule.
J’ai beaucoup de mal à réaliser que je ne vais peut-être jamais retrouver la vue de mon œil. Je préfère ne pas y penser.
Emmanuel DERRIEN
Mise à jour du 09/04/2014
Rencontre avec Emmanuel Derrien, une troisième victime (après Quentin Torselli et Damien Tesssier) d'une blessure très grave à l'oeil causée par la police lors de la manifestation contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à Nantes le 22 février 2014.
Emmanuel risque une infirmité permanente de cet œil, par perte de la vision.
Qui es-tu Emmanuel ?
Je m'appelle Emmanuel Derrien. J'ai 24 ans et suis originaire de Quimper en Bretagne. Je suis cuisinier de métier. Je suis arrivé récemment à Nantes pour y chercher un emploi.
Quelle blessure t'a provoqué la police pendant la manifestation du 22 février ?
C'est comme Damien : une « contusion sévère de bloc oculaire », avec quelques points de suture à l'arcade. Je n'ai pas les mots exacts. J'ai une cataracte post-traumatique de l'oeil droit, qui m'empêche de voir. Les médecins me parlent d'un projet d'opération de la cataracte. L'exercice de la vision m'est difficile avec un seul œil.
Étais-tu manifestant contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?
Je me déplaçais dans la ville pour rechercher un restaurant, pour trouver un emploi. Ma curiosité m'a emmené sur le lieu de la manifestation.
Que s'est-il passé exactement ?
C'était vers 17 heures, sur la pelouse entre l'Hôtel-Dieu et l'Île-Feydeau. Il y a un arbre isolé à cet endroit. Il y avait du monde, avec une rangée de manifestants en face des CRS. J'ai essayé de surplomber pour mieux voir. Je portais un keffieh. Tout à coup, j'ai ressenti quelque chose qui m'a percuté, qui m'a fait tomber au sol, net. J'ai dû faire une perte de connaissance.
J'ai entendu des voix bienveillantes qui disaient « Mais oui, il saigne ! ». Ces personnes m'ont transporté en essayant de me garder éveiller jusqu'aux urgences de l'hôpital.
Dans les couloirs, il y avait énormément de blessés issus de la manifestation, beaucoup allongés sur des brancards, beaucoup en train de vomir.
La nuit même, on m'a endormi pour faire une exploration du globe oculaire. J'ai eu l'impression d'être un cobaye. Au réveil, c'était horriblement douloureux.
Je suis resté à l'hôpital quatre jours, chambre 559.
J'ai fait la demande de mon dossier médical, mais on m'a répondu qu'il n'était pas complet. Je suis dans l'attente.
As-tu prévu de porter plainte ?
Oui bien sûr. Je ressens de l'incompréhension et de la colère face à ce geste de la police.
Propos recueillis par Luc Douillard les 8 et 9 avril 2014. Cet interview, comme celui de Damien le 8 mars, a été relu et corrigé par l'intéressé pour être rediffusé largement, avec la photo jointe
et les autres...
JUSTICE – Depuis la manifestation contre Notre-Dame-des-Landes et les violences qui ont suivi, vidéos et témoignages des anti-aéroport sur multiplient sur internet, dénonçant les "violences policières". En tout, quatre plaintes ont été déposées.